dimanche 24 février 2013

Les enfants de Babel

       

Il est question d'évasion dans ce roman d'Eliacer Cansino. D'évasion et de transmission. Prendre la mer pour gagner un nouveau continent et échapper à une vie de misère, échapper à l'exclusion et  au regard des autres par le trafic et la débrouille, échapper par les livres à une vie de solitude.
        Nor, Berta, Rachid, Angel et Gil n'en ont pas toujours conscience mais tous sont des êtres errants, sans attaches. Gil, depuis la guerre civile espagnole, n'a vécu qu'une vie de fuite et d'errance, son précieux livre sous le bras. Nor a quitté son pays d'Afrique, tout comme Rachid. Angel, le professeur de philosophie a perdu sa femme et se fait oublier du monde en réparant les mécanismes de vieilles montres, en se plongeant dans la poésie de José Hierro. Berta rêve d'achever ce roman dont elle a écrit les premières pages sur son carnet. Tous ces personnages, pris dans le tourbillon du hasard vivent à Alfarache en banlieue de Séville, dans une tour, qui n'est pas Babel, mais pourrait l'être, tant elle est fébrile, tant y règne le désordre.
      Avant de disparaître, Nor a laissé une lettre à Angel, son professeur de philosophie, lui demandant de l'aider. Il est parti rejoindre son petit frère, qui doit débarquer prochainement avec un groupe de clandestins sur les rives de l'Espagne. Cette disparition met en contact ces personnes qui vivaient tout à côté les unes des autres et pourtant se méconnaissaient. Angel fait la connaissance de Gil, ce vieil homme de plus en plus surprenant et inattendu, qui, sans sortir de chez lui, était présent dans tant de vies.
      Car l'autre sujet du roman est la transmission. Angel transmet à ses élèves l'art de questionner le monde et celui de mieux se connaître ; à Lucia, qui fait entrer du soleil dans son appartement en y faisant le ménage,  le goût de la poésie. Gil a appris à Nor l'espagnol et l'amour des livres. Rachid qui pense ne rien pouvoir recevoir,  risque de finir en prison et de ne pas laisser davantage de traces qu'un nuage de poussière que le vent dissipera bientôt.
     Transmettre, aider ou se détourner, agir par devoir, est-ce que la philosophe doit transformer le monde ou bien seulement le penser ? Telles sont les questions que se posent les personnages.
      L'auteur évite merveilleusement la description facile de bons sentiments et de personnages caricaturaux dans leur bonté ou leur noirceur. Tout est nuancé dans ce roman, tout est juste et fragile. Les personnages prennent de l'épaisseur en faisant face à leurs contradictions. Tout ne s'accomplit pas, des choses restent en suspens. J'ai été porté par cette lecture vivement conseillée aux lycéens (demandez leur de vous le prêter).


C'est enfin un roman sur la littérature et la lecture. Quand Angel se déplace, où qu'il aille, même en enfer, il devait emporter un livre. Pour aller chercher Nor, il embarque Éloge de l'ombre de Tanizaki; cela m'a touché. Alfarache est une banlieue de Séville mais aussi le village de Guzman de Alfarache, un roman picaresque écrit par Mateo Aleman au XVIe siècle, roman qui a accompagné Gil toute sa vie durant et doit faire la fortune de Nor. Quant à Berta, à la fin du roman, elle pense avoir trouvé le titre de celui qu'elle est en train d'écrire. Ce sera Oju, quel froid. Elle en a changé le personnage principal. Elle a imaginé un prof de philo qui se moque des Andalous parce qu'ils sont frileux et vit dans une tour chaotique où lui arrivent des choses qui vont changer sa vie...


(lu par Yann)






Les enfants de Babel, d'Eliaser Cansino, L'École des Loisirs, février 2013, 16 euros

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